Cet article est ma traduction d’un texte écrit par mon estimée collègue Chloe Margherita, au sujet de l’étoile fixe Vega, de la constellation Lyra. Vous pouvez lire la version originale en anglais sur son site ici si vous le souhaitez.
Illusion divine
L’histoire de la lyre commence par la tromperie. Selon le mythe, Hermès, fils de Zeus, créa l’instrument peu de temps après sa naissance. Bien qu’étant juste un nouveau-né, le dieu messager s’échappe de ses langes et rencontre un troupeau de vaches appartenant à Apollon, dieu du Soleil. Il arrive à les voler toutes mais il est découvert lorsque les satyres locaux l’entendent jouer de sa nouvelle invention, qu’il a confectionnée avec une coquille de tortue et des entrailles de vache. Bien qu’il essaye de nier son vol, il confesse finalement avoir tué deux vaches du troupeau d’Apollon, mais finit par garder le reste ; Apollon, divinité des arts, est enchanté par le son que peut faire la nouvelle invention d’Hermès et échange son troupeau pour pouvoir la garder. Zeus, le père d’Hermès, lui dit d’arrêter de dire des mensonges. Bien qu’il promette de « ne jamais dire de mensonges » , il ne « peut pas promettre de dire toute la vérité » .
« Cela ne serait pas attendu de toi » dit Zeus, avec un sourire, s’assure de relayer Robert Graves.
Ainsi commence notre exploration de Vega, l’étoile principale de la constellation de la Lyre. Bien qu’on lui ait donné de nombreuses images et titres au fil des années, elle a toujours été associée aux instruments de musiques, généralement la harpe, ou dans le cas de la Grèce antique, la lyre. Plutôt que de la connecter à Hermès, iels connectaient Vega à la lyre d’Orphée, fils d’Apollon et ainsi bénéficiaire direct de la ruse d’Hermès. Après avoir reçu l’instrument de son père, « les Muses lui ont enseigné son usage, si bien qu’il n’enchantait pas seulement les bêtes sauvages, mais faisait bouger de leurs places les arbres et les rochers pour suivre le son de sa musique » . Il est dit qu’avoir une connexion natale à Vega imprégne la personne avec des capacités artistiques, spécifiquement pour la musique et les arts dramatiques.
Ici nous avons une autre vision de la duperie : la capacité de l’art à altérer notre relation à la réalité, pour le meilleur ou pour le pire.
L’art en Grèce antique
L’un des milieux où ce type de demi-vérités est non seulement permis mais accepté est, bien sûr, le monde de l’art. Mais en Grèce antique, Platon a questionné la capacité de l’art à flouter les lignes de la vérité. Parce que « La poésie, le théâtre, la musique, la peinture, la dance remuent nos émotions » , le philosophe était persuadé qu’il faudrait les censurer lourdement, par peur que le peuple confonde la fabrication de la Vérité et sa version authentique. Bien qu’il reconnaisse le potentiel de l’art à façonner le caractère humain pour le mieux (incluant même la musique et la danse dans le curriculum scolaire dans sa République), il passe beaucoup de temps à s’inquiéter des effets délétères de l’art non censuré sur la population générale. La musique jouée simplement pour le plaisir était balayée comme « irrationnelle » , surtout prenant en compte les potentiels élevés que présente la musique.
La musique était particulièrement mise en avant pour sa capacité à amener quelqu’un en harmonie ou disharmonie avec le bon mouvement de l’âme humaine. Cette connexion vient de « l’idée qu’il y a des révolutions dans l’âme similaires à celles des corps célestes » . Ainsi la musique était « vue comme une expression de cet accord et concorde cosmiques » . La musique était vue comme « une alliée contre la disharmonie qui est venue dans la révolution de l’âme, pour l’amener en l’ordre et en consonance (sumphonia) avec elle-même » . Ainsi, la vérité que l’art peut nous tendre n’était pas seulement la vérité fade d’un monde purement objectif et matérialiste, mais une vérité transcendente transmise depuis les sphères célestes intégrée à notre réalité quotidienne. Comme Platon raille tout ce qui entraîne les hommes à « considérer la réalité qui tombe sous nos sens comme la seule réalité » , la musique était vue comme tout particulièrement vertueuse pour sa connexion avec les mouvements des cieux.
Ici nous apprenons quelques éléments intéressants pour les natif·ves de Vega : recevoir le don de créativité signifie recevoir un grand pouvoir. L’on peut enchanter autrui, les ordonner de nous suivre, et influencer la forme de leur âme. L’art peut agir non seulement comme miroir de la psyché de quelqu’un, mais aussi comme un portail vers des vérités spirituelles ou une connexion au divin. Mais par ailleurs, Vega peut aussi les mener loin de la réalité et fabriquer des illusions pour son propre gain. Un·e natif·ve de Vega doit être conscient·e de si son art ou expression vient d’un endroit vertueux ou d’une connexion avec l’esprit, plutôt qu’un simple outil pour le gain personnel ou d’origine égotique.
Défier la Mort
Le plus connu des joueur·ses de lyre, et un exemple de ce dicton, était Orphée, qui selon Robert Graves dans « Myths » était « le poète et musicien le plus célèbre qui ait jamais vécu » . La relation divine entre les cieux et la musique est apparente dans l’histoire d’Orphée. Après avoir reçu sa première lyre d’Apollon et avoir appris comment en jouer des Muses, il est dit qu’Orphée pouvait enchanter les bêtes sauvages et faire en sorte que « les arbres et les rochers bougent de leurs places pour suivre le son de sa musique » . À travers le talent et la bénédiction du joueur, la lyre joue le rôle de canal pour l’énergie divine, y attirant tous les êtres.
La lyre aida même Orphée à défier la mort. Lorsque son amoureuse, Eurydice, meurt d’une morsure de serpent, il se rend dans l’outremonde et :
à son arrivée, ne charma pas seulement le passeur Charon, le Chien Cerbère, et les trois Juges des Mort·es avec sa musique plaintive, mais temporairement suspendit les tortures des damné·es ; et apaisa si bien le coeur sauvage d’Hadès qu’il gagna la permission de restaurer Eurydice au monde du dessus.
Guidé par le son de la lyre, Eurydice fait sa lente ascension de retour vers le monde des vivant·es. Mais juste au moment où iels atteignent la lumière du Soleil, Orphée se retourne pour la voir, rompant l’accord conclu pour son retour.
Orphée a le coeur brisé, bien sûr, et finit par mourir dans les mains des Bacchae, les fol·les disciples de Dioynsos, Dieu du vin et de la rêverie. Là où finit sa dépouille, cependant, nous dit pourquoi sa descente était vouée à l’échec.
La Tête et la Harpe
Selon Robert Graves, tandis que la lyre d’Orphée se retrouve au sanctuaire d’Apollon, sa tête décapitée est enterrée dans le sanctuaire de Dionysos. Ces deux dieux sont souvent couplés pour démontrer une opposition ; Apollon représente la lumière claire de l’intellect, Dionysos la sauvagerie extatique des sens. Il est clair, donc, que l’instrument lui-même, créé et accordé divinement, contient le pouvoir des dieux ainsi que l’ordre et le rythme éternel des cieux que Platon louait tant. Mais c’est seulement dans les mains d’un être humain que de la belle musique peut être tirée de ses cordes. Cela soumet aussi l’instrument aux passions et irrationalités humaines, la raison même pour laquelle Platon ridiculise tant l’art. Mais, comme la lyre ne peut se jouer elle-même, on doit compter sur le corps humain subjectif pour amener ses enchantements à la vie.
En d’autres termes, pour jouer de la lyre, l’on doit équilibrer les rôles de vaisseau divin, énonçant la perfection pré-existante des sphères célestes, tout en utilisant ses propres passions trompeuses et irrationnelles pour amener l’effet enchanteur.
C’est le souci avec Vega : parfois, l’on être pas très sûr·e de si quelque chose est réel ou une illusion. Mais il doit y avoir un souvenir, une révérence pour la source de la musique. Afin de bien s’investir avec Vega, l’on doit se souvenir que la source de la musique provient d’au-delà de son propre esprit, sans confondre le réceptacle et le contenu.
Vega en Mouvement
Une personne née sous Vega qui démontre cette tension entre le divin et le terrestre est Simone Weil, une mystique du 20ème siècle. Connue pour ses écrits religieux et pour son activisme politique durant la Seconde Guerre Mondiale, une grande partie de ce qu’elle a écrit se trouve aux prises avec la médiation nécessaire du divin à travers le corps et l’esprit humain.
Dans « Gravité et Grâce » , une collection de ses écrits qui comporte une section entière appelée « Beauté » , elle nous dit que « la beauté et la réalité sont identiques » , nous rappelant que la vraie gnose du dieu ou Vérité est un évènement esthétiquement et émotionnellement riche, un évènement qui peut nous remplir des ressentis et rêveries dont Platon avait tant peur. Une appréciation spirituelle de la beauté est assez pour marquer une natif·ve de Vega. Mais Weil mettait aussi en garde contre le fait de penser que la beauté est la seule vérité. Elle compare la beauté à « un fruit que nous contemplons sans essayer de le saisir » et a aussi écrit cet adage :
« Une très belle femme qui regarde son reflet dans le miroir peut très bien croire qu’elle est cela. Une femme laide sait qu’elle n’est pas cela. »
Ici nous avons deux faits : premièrement, que le visage que nous voyons reflété n’est pas vraiment nous. Pour Weil, notre identité réelle est avec Dieu, passe à travers Dieu, est dieu.
Deuxièmement, la plus charmante l’illusion, le plus de chances nous avons de la croire. Et c’est la corde raide sur laquelle les natif·ves de Vega doivent trouver l’équilibre ; d’une part, être incarné·e signifie être entouré·e de beauté, puisque toute chose est un reflet de son origine divine. D’autre part, iels doivent éviter les illusions, ou éviter de confondre la forme et la substance.
Vega, comme tout cadeau, amène avec elle une responsabilité morale envers la vérité comme elle est vue ; il est possible de l’orner de musique, de mots, de danse. Avec un peu de chance, l’on peut voir la vérité divine sous la façade et peut-être même ramener les mort·es.
Mais ne pensez pas un seul instant que ces pouvoirs viennent de vous seul·es. Ayez confiance en dieu et en là où ce message va, même si l’on ne peut pas le voir, sous peine de tourner la tête trop vite et de voir tout ce que l’on aime disparaître à nouveau.
Sources :
- “Gravity and Grace,” Simone Weil
- “The Greek Myths” by Robert Graves
- “The Book of Symbols,” Archive for Research in Archetypal Symbols (ARAS)
- “Plato’s attitude to poetry and the fine arts, and the origins of aesthetics,” Walter. G. Leszl
Je vous recommande vivement le travail de Chloe si vous lisez l’anglais confortablement ! Outre les textes présents sur son site, elle écrit une newsletter, Recent Bedroom, d’une grande qualité.
À l’heure actuelle, j’ai traduit deux autres de ses articles : l’un au sujet de Murzims de la constellation Canis Major, l’autre au sujet d’Acubens, de la constellation Cancer.
Si vous souhaitez explorer la place de Vega, d’autres étoiles fixes (ou autre chose !) dans votre thème natal en consultation, les informations pour prendre rendez-vous avec moi sont par ici.
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