Françoise Hardy est, il me semble, plus connue en tant qu’autrice-compositrice-interprète que comme astrologue. Quoiqu’il en soit, elle a écrit deux livres astrologiques, contribué à d’autres écrits astrologiques, animé une émission de radio à ce sujet dans les années 80… J’étais donc curieux·se de découvrir l’un de ses deux ouvrages sur l’astrologie, « Les rythmes du zodiaque ». Dans l’ensemble, je n’ai pas du tout été emballé·e. Voilà pourquoi.

Tout d’abord, Françoise Hardy semble penser que son mentor Jean-Pierre Nicola a inventé la poudre avec ses théories astrologiques. À la lire, on croirait que personne avant Nicola n’a songé à lier les rythmes célestes avec celleux des humain·es (ce qui est évidemment faux). Elle se met à distance de toute divination avec véhémence, et avance donc que l’astrologie serait une science humaine, qui observe les effets « subtils » des planètes sur nos existences. Ptolémée surfait déjà sur cette vague au 2ème siècle de l’ère commune. Ce n’est pas une idée neuve ou particulièrement innovatrice. Nombre d’astrologues depuis bien longtemps ont cherché à se légitimer comme scientifiques et non comme pratiquant la divination. Iels n’en sont pas nécessairement plus sages ou compétent·es pour autant… Et Hardy l’illustre bien.
Dès la première phrase de l’ouvrage, Hardy s’abat sur les autres astrologues pour leur reprocher de ne rien connaître à l’astronomie. La note de bas de page parle des astrologues en France : les astronomes français sont interdits de pratiquer l’astrologie depuis le 17ème siècle. C’est un fait intéressant, mais je ne vois pas en quoi cela permet d’affirmer que les astrologues « depuis plusieurs siècles » n’ont aucune notion d’astronomie. Je dois dire que je trouve particulièrement agaçante la tendance de certain·es collègues contemporains à généraliser abusivement et traîner dans la boue des traditions qu’iels ne connaissent visiblement pas.
Hardy renchérit plus loin que « L’astrologie n’est pas divinatoire » et qu’elle « reste muette sur l’histoire et le devenir personnel ». TON astrologie, Françoise, pas la mienne. C’est quand même un peu fort de café de généraliser sur une discipline ainsi, parce qu’on n’en aborde qu’une partie. Je ne mange pas mes pâtes avec du beurre, pour autant vais-je déclamer « Les pâtes ne sont jamais mangées avec du beurre » ? Bien sûr que non, certain·es de mes pairs aiment les pâtes au beurre, je resterai team huile d’olive pour toujours mais je ne vais pas nier leur existence pour autant. Ici je suis perplexe quant à l’insistance d’astrologues de déclarer l’astrologie non-divinatoire. Parlez pour vous, et cessez de vouloir effacer la riche histoire des traditions astrologiques au profit de vos élucubrations strictement psychologisantes ! Il y a, en fait, une variété considérable de techniques astrologiques qui décrivent l’histoire et le devenir personnel. De manière symbolique, subtile, complexe, mais non moins efficace. On peut citer les progressions secondaires, les profections, la libération zodiacale, les firdarias, etc. Je suis fatigué·e de voir des astrologues tenter de (se) rassurer sur l’absence de déterminisme qu’implique l’astrologie ; mais c’est un sujet pour un autre article ou trois.
Hardy fait parfois des remarques qui me paraissent complètement aberrantes et opaques, telles que « Les natifs des signes de printemps sont « nature », ceux des signes d’automne sont « culture »« . Mais qu’est-ce qu’on est sensé·e comprendre par là ?

Autre élément risible, l’affirmation que l’astrologie ne se réfère qu’au système solaire. Une telle ignorance de l’histoire astrologique et/ou un tel nombrilisme me dépasse. Ce n’est pas parce que Nicola, Hardy et autres conditionalistes ont décidé de se cantonner strictement au système solaire que tous les astrologues font de même. Les étoiles fixes ont eu, historiquement, une place primordiale dans l’astrologie, et elles sont toujours étudiées et utilisées par nombre d’astrologues (on peut citer Bernadette Brady qui est une référence en la matière, Vivian Robson qui a écrit un texte encore très cité, Òscar Moisés Díaz et Amaya Rourke parmi des contemporain·es plus jeunes).
La vision du zodiaque que présente Hardy est très limitée, et basée sur des notions discutables. Cela me paraît d’autant plus navrant que c’est fait avec des prétentions scientifiques, sous-entendu « Mon approche est logique, se base sur des faits observables et pas des fables de diseuse de bonne aventure ». Le rôle des saisons est primordial dans l’approche de Hardy ; et bien entendu, lorsque l’on se focalise énormément sur le zodiaque plutôt que sur les planètes, maisons et aspects, on rencontre des problèmes. En effet, il y a plusieurs zodiaques, et l’hémisphère Nord et Sud ont des saisons différentes ; entre autres. Hardy élude ce problème en deux temps trois mouvements sans y apporter une quelconque solution ou même une piste de réflexion intéressante :
À l’heure actuelle, les astrologues ne sont pas en mesure de savoir si l’effet que semblent produire les rythmes zodiacaux dans l’hémisphère Nord est le même dans l’hémisphère Sud, et s’il faut ou non inverser les signes.
Elle ajoute dans une note de bas de page que les statistiques dont on dispose suggèrent a priori qu’aucune inversion Nord-Sud n’est nécessaire… Cela pourrait être une piste de remise en question, si l’humilité était présente, mais hélas.

Pour renforcer sa position selon laquelle Bélier est le point de départ du zodiaque et le premier signe d’une succession de douze qui gagnent en complexité au fur et à mesure, elle souligne que « certains pays du Moyen-Orient, où l’astrologie est née il y a cinq millénaires, continuent de faire débuter l’année au premier jour du printemps, repère a priori plus significatif que celui du 1er janvir, puisqu’il marque une étape majeure du rapport Terre-Soleil. » Fort bien, mais les Égyptien·nes prenaient Cancer comme début de l’année. Nous leur devons un grand nombre d’éléments de notre astrologie. Alors que faut-il prendre comme référence ? À vrai dire, Bélier comme « premier signe » est une notion relativement récente à l’échelle de l’histoire de l’astrologie, renforcée par un amalgame « Signes = maisons » qui simplifie l’astrologie à outrance dans le but de la rendre plus facile à comprendre.
Un bon nombre d’astrologues, dont Hardy, répètent des lieux communs au sujet des signes qui sont directement liés à cette théorie discutable selon laquelle les signes se succèdent les uns aux autres en gagnant en complexité au fur et à mesure, pour citer Hardy : « La logique zodiacale qui veut que chaque signe corrige le tir par rapport au signe précédent. » Hardy précise toutefois que cela ne signifie pas que les Béliers soient plus bêtes que les Poissons : « Il n’y a pas plus de Béliers évolués que de Poissons évolués et un Bélier de haut niveau sera forcément supérieur à un Poissons de bas niveau ou moyen. » Ce vocabulaire me rappelle les qualificatifs pathologisants du corps médical à l’égard des personnes autistes…
Un des manières dont ce livre m’a profondément agacé·e est son refus d’utiliser des termes astrologiques répandus, au profit de périphrases alambiquées à prétention astronomique, qui donnent l’impression d’une nouveauté ou d’une complexité artificielle. Ainsi, Hardy ne fait jamais référence aux signes comme cardinaux, fixes ou mutables ; elle n’évoque les éléments que pour les tourner en dérision comme un prisme primitif de la Tradition (à quoi cela sert-il de capitaliser le mot tradition comme pour la sacraliser, si c’est pour la dédaigner à ce point-là, je me le demande). Hardy va même jusqu’à prétendre que l’astrologie moderne n’utilise pas les éléments ! On croit rêver.
Un exemple parmi d’autres des bêtises auxquelles il est possible d’arriver lorsque l’on insiste à tout pris sur Bélier comme étant le « premier signe » est la suivante : Hardy affirme que la peine de mort paraît plus insoutenable aux Béliers, car ils représentent l’élan vital. On doit pour cela en croire que Robert Badinter est responsable de l’abolition en France, que Lars Von Trier est résolument contre la peine de mort, que Serge Rachmaninov ne supportait pas la pensée de la mort. Lars Von Trier n’a, de ce qu’on sait, aucun placement en Bélier, son inclusion dans cette rubrique est donc intrigante. En ce qui concerne les deux autres, d’autres éléments du thème seraient plus intéressants à étudier par rapport au sujet de la mort et de la justice (Jupiter, la planète dirigeant la 8, Saturne…), mais Hardy semble se plaire dans les interprétations à la va-vite du signe Solaire pour servir ses propos. Réduire un thème natal au placement Solaire ainsi est extrêmement douteux et se prête à des conclusions hâtives ; et pour en revenir à ses propos sur Bélier, associer un signe dirigé par Mars à l’abolition de la peine de mort me paraît assez amusant. Bien sûr, il est tout à fait possible d’être profondément pacifique et opposé·e à la peine de mort en ayant le Soleil en Bélier, mais établir une causalité ainsi ne tient pas debout.
Hardy écrit 10 pages sur Bélier sans jamais citer Mars ailleurs que dans une misérable note de bas de page. Le dédain pour les éléments basiques de l’astrologie est palpable tout au long du livre, et l’ennui est que ce n’est remplacé par rien de substantif. À la place, des prétentions astronomiques surgonflées, lieux communs, des anecdotes, des citations de célébrités dont certaines sont vaguement intéressantes et à propos, mais qui ne peuvent pas remplacer des recherches astrologiques à proprement parler.
Il me semble que le vécu personnel de Hardy influence sa vision des signes à l’excès. Elle dit ainsi :
L’astrologie moderne réfute les maîtrises traditionnelles qui portent les personnes non averties à croire que les tendances de la soi-disant planète du signe marquent leur psychologie. Bien qu’il existe des analogies entre certaines planètes et les signes dont on leur a accordé la maîtrise, on peut être Capricorne sans être saturnien, Taureau ou Balance sans être vénusien, Lion sans être solaire, Bélier sans être martien, et n’y a pas plus éloigné des tendances auxquelles on prédispose le signe de la Vierge que celles auxquelles prédispose Mercure. Mais l’on peut, bien sûr, être, par exemple, à la fois virginien et mercurien, puisqu’il suffit d’être né à une forte forte – lever, culmination, coucher, minuit – de Mercure, pour avoir certains des traits de caractère auxquels prédispose cette planète.
p. 221, note de bas de page
Je n’aime pas prendre le thème natal de quelqu’un comme argument, mais il se trouve que Françoise Hardy est Ascendant Vierge, dirigée par Mercure rétrograde. Je me demande si cela (et son ignorance évidente au sujet des planètes et de leurs qualités au-delà d’un enseignement superficiel et purement psychologisant) ne joue pas un rôle prépondérant dans ses jugements hâtifs sur les maîtrises.
Parmi les autres éléments qui m’ont fait froncer les sourcils, l’affirmation que les signes Taureau, Cancer, Vierge, Capricorne et et Poissons seraient naturellement résistants au changement. Pour Taureau, ça me semble sensé : il s’agit d’un signe fixe de terre gouverné par Vénus, qui cherche à stabiliser et unifier. C’est donc cohérent. En ce qui concerne Cancer, c’est un signe cardinal (qui initie), d’eau, gouverné par la Lune qui est l’astre le plus rapide du septénaire. Il y a certes une préoccupation de la sécurité et du confort en Cancer, mais de là à parler d’aversion au changement… Pour Vierge et Poissons, il s’agit d’un axe mutable, changeant par essence, gouverné par des planètes en lien avec le mouvement, l’expansion, les voyages (Mercure et Jupiter). Un non-sens, en somme. Ce sont des signes qui au contraire, s’assurent d’un changement efficace, optimisé, cohérent, mais ne chercheraient pas à bloquer le changement. Quant à Capricorne : c’est un signe saturnien de terre, comme pour Taureau, je trouve qu’il y a une certaine cohérence au propos, même s’il s’agit d’un signe cardinal. Saturne se préoccupe des racines, de la préservation des traditions, de la transmission. J’ai cherché à comprendre d’où venait cette affirmation que je trouve farfelue, et j’avoue que cela m’échappe.
Tout au long du livre, Hardy contraste chaque signe avec son « opposé », mais selon une grille de lecture très étrange : au lieu de se référer aux maîtrises et aux axes symétriques, et de contraster Bélier avec Balance, Taureau avec Scorpion, et ainsi de suite, elle oppose Bélier à Poissons, Taureau à Verseau, Gémeaux à Capricorne, et ainsi de suite.
Préjugés crasses et remarques déplacées
Hardy structure chaque chapitre avec une rubrique « Adapté » et une rubrique « Inadapté » ; elle n’explique jamais ces termes en profondeur, mais il faut là plus ou moins comprendre qu’il y a des « bons » Béliers et des « mauvais » Béliers.
Dans la section « Bélier inadapté », elle parle d’impulsivité et de rapport à l’immédiateté, ce qui semble pertinent, mais donne un exemple que j’ai trouvé très déplacé :

L’inadapté s’obtient et ne maintient que l’état d’exaltation sans lequel tout lui paraît insipide, qu’en grillant les feux rouges sur un plan ou un autre. […] Il n’est pas impensable non plus que le terrible accident de voiture où a péri la princesse Diana ait été dû à des injonctions pressantes de Dodi Al Fayed (Bélier) au chauffeur de rouler plus vite. Alain Prost (Poissons) et encore en vie, mais pas Ayrton Senna (Bélier).
Je trouve profondément dérangeant de sous-entendre que Dodi Al Fayed était responsable de l’accident du fait de son signe solaire. Je ne peux pas non plus m’empêcher de noter que dans les deux cas, Hardy prend comme exemple de « Bélier inadapté » un homme racisé, en contraste avec une personne blanche (Diana est automatiquement innocentée d’avoir pressé le chauffeur elle-même, j’imagine du fait de son Soleil en Cancer ?). Par ailleurs, encore une fois, réduire le thème au Soleil m’apparaît comme une erreur grossière ; Alain Prost a Mars en Bélier dans ses propres termes.
Le chapitre sur Gémeaux m’a aussi décontenancé·e par moments. Le signe est décrit ainsi : « Sans a priori, arrière-pensées, ni calcul d’aucune sorte, le natif ne cherche pas la considération. » Mercure, qui dirige Gémeaux, gouverne littéralement le calcul, et est associée à la fraude, à la ruse, au mensonge. Je ne comprends pas cette vision naïve de Gémeaux. Plus loin, Hardy dépeint des Gémeaux aux sautes d’humeurs considérables et conclut : « Le manque de force intérieure, de maturité et de retenue, la propension à l’excès en tout, font de certains natifs des candidats au suicide à la moindre frustration. » Cette trivialisation gratuite du suicide est de particulièrement mauvais goût.
Comme souvent avec des écrits influencés par des notions psychanalytiques, on ne coupe pas à un passage psychophobe envers l’autisme : « L’inadapté ou le natif dans ses mauvais moments, voit des dangers partout, se recroqueville sur lui-même en permanence et frise l’autisme qui menace ceux qui se coupent du réel par peur de l’affronter. » (à propos de Cancer) Il s’agirait de se renseigner sur ce qu’est réellement l’autisme pour éviter de sortir de telles horreurs.
Hardy collectionne les exemples mal à propos, choisissant de regarder un seul élément du thème ou deux, au lieu de l’interpréter dans son ensemble, et parfois étalant ses préjugés plus qu’autre chose.

Ainsi, voici ce qu’elle dit de l’actrice et réalisatrice étatsunienne Jodie Foster, pour décrire les « inadaptés » Scorpion : « Le fait – si l’on en croit la presse – que l’actrice et réalisatrice américaine ait mis au monde deux enfants en recourant l’insémination artificielle après avoir, comme il se doit, soigneusement sélectionné les qualités du donneur, révèle apparemment et sous couvert de rationalité, une obsession irrationnelle du contrôle, qui revient à une fermeture à l’autre, par excès de méfiance et de difficulté à sortir de soi-même. » Peut-on faire tirade plus dégueulasse de lesbophobie ? Jodie Foster a eu ses deux enfants avec sa compagne de l’époque, Cydney Bernard. Par ailleurs, si Foster est effectivement sur la réserve vis-à-vis des inconnu·es et dans le contrôle de l’accès qu’ont les autres à sa vie, peut-on raisonnablement le lui reprocher ? C’est une enfant star qui a été stalkée par un meurtrier alors qu’elle était encore mineure.
Au sujet de Sagittaire : « L’associativité maximale du Sagittaire fait mal supporter les discriminations, en particulier celles de nature raciale. » Faut-il rappeler que notre Président actuel, dont la complaisance à l’égard des discriminations notamment raciales n’est plus à prouver, a un stellium en Sagittaire ? Un des racistes les plus célèbres de France a son Milieu du Ciel dirigé par Saturne en Sagittaire, avec Jupiter en maison 1. Sa petite-fille qui s’illustre également par sa xénophobie acharnée a un Soleil en Sagittaire et Jupiter exalté culminant. Les placements astrologiques ne révèlent pas l’éthique antiraciste de quelqu’un… Jupiter peut au mieux refléter une grande ouverture d’esprit, une volonté de découvrir d’autres cultures et d’en enrichir sa vision, mais la planète de l’expansion peut aussi représenter un colonialisme qui phagocyte tout sur son passage, une appropriation sans-gêne des ressources culturelles d’autrui. La vision idéalisée de Sagittaire que présente Françoise Hardy est partielle, naïve et irresponsable car dépolitisante.
La mauvaise foi au sujet de Verseau
Hardy méprise ouvertement les maîtrises dites « traditionnelles » et passe ainsi à côté des thèmes qu’elle étudie ; elle semble prétendre se fier uniquement aux notions modernes de Nicola pour l’interprétation des signes, mais ce qu’elle décrit est visiblement imprégné de la notion « Signes = maisons » et des maîtrises modernes. Comment sinon expliquer sa description (que je trouve profondément à côté de la plaque) de Verseau comme un signe qui rallume le feu, plein de positivité ? Elle dit que c’est un signe associé à « idéalisme, optimisme, dynamisme, espérance, foi, charité ». J’aimerais que l’on m’explique comment on peut justifier ça au regard des maîtrises antiques, même si on choisit de ne plus les prendre comme unique référence. Hardy pense-t-elle que les astrologues se plantaient complètement sur Verseau avant la découverte d’Uranus ? Saturne, qui gouverne Verseau, est aux antipodes des thèmes qu’elle énumère. Saturne gouverne le pessimisme, la tristesse, la solitude, la crispation, le désespoir, le deuil, l’ignorance, la radinerie, littéralement ! Pas seulement, mais ce sont indubitablement des significations de Saturne. Alors comment réconcilier son association à Verseau pour l’immense majorité de l’histoire de la tradition astrologique en disant tout cela de ce signe? Il faut vraiment vouloir nier des millénaires d’astrologie avec aplomb et arrogance.
À vrai dire, je me demande si Hardy connaît même les significations de Verseau pré-maîtrises modernes. Elle dit que la « Tradition » établit un rapport entre Verseau et l’amitié. Ce n’est vrai que dans le contexte de signes = maisons, où Verseau se voit attribuer la maison 11, qui est, en astrologie antique, la joie de Jupiter et n’a strictement aucun rapport avec Verseau.

Les exemples de thèmes qu’elle donne pour Verseau sont systématiquement peu représentatifs de ce signe, avec généralement Jupiter et/ou Mars en place importante (nettement plus cohérent avec la description hurluberlue qu’elle fait de Verseau, dynamique et joviale). Ainsi, elle cite Virginia Woolf qui « aimait boire du champagne et devenir follement exaltée ». Woolf a certes le Soleil et son capitaine d’Ascendant culminants en Verseau, mais elle a aussi Mars rétrograde en maison 1, ce qui me paraît plus indicatif de ce type d’entrain. Par ailleurs, outre ses talents d’écrivaine bien évidemment, Woolf est plutôt connue pour des problèmes de santé mentale qui ont été instrumentalisés par son entourage, notamment la dépression chronique et au moins deux tentatives de suicide (rappelons que Saturne, qui dirige Verseau, gouverne la mélancolie et la mort), cet exemple me paraît donc d’une mauvaise foi assez notable.
L’exemple suivant est celui de Paco Rabanne… Elle le cite qui dit qu’il vaut mieux « être allumé qu’éteint ». Rabanne est Ascendant Gémeaux avec Mercure conjoint Mars en Poissons en maison 10, la Lune avec Uranus en Bélier, Jupiter en Balance… Et le Soleil en Verseau est accompagné de Vénus rétrograde et Rahu. Autrement dit, sa fantaisie me semble bien plus reflétée par le reste de son thème que par son Soleil en Verseau en soi. En revanche, on peut noter que Rabanne est notamment célèbre pour avoir fait des prédictions apocalyptiques : ce côté « prophète de malheur » colle bien non seulement à Mars-Mercure en Poissons, mais aussi à Saturne, planète du pessimisme s’il en est, en maison 9 avec le Soleil exilé.
Hardy cite aussi Daniel Auteuil : Lune en Bélier conjointe à Rahu comme luminaire de l’équipe, Pluton et Uranus culminants, Jupiter et Vénus rétrograde avec le Soleil en Verseau recevant un trigone de Mars qui dirige l’Ascendant. Encore une fois, la présence d’autres planètes reflète ce qu’elle cite d’Auteuil ; « Je suis un garçon qui positive » et qu’elle attribue à Verseau.
Elle parle de Caroline de Monaco, dont une amie dit que sa force est de voir le positif dans n’importe quelle situation, qu’elle est un bel exemple d’optimisme. Attribuer cela au Soleil en Verseau de Caroline de Monaco est une grossière erreur de débutant : elle a bien entendu un Ascendant jupitérien, avec Jupiter en Balance qui déposite Saturne en Sagittaire culminant, et Mars en domicile qui déposite la Lune. On s’attendrait donc logiquement à un côté fonceur et déterminé. De plus, son Soleil est en maison 12 et c’est son seul placement en Verseau !

L’exemple de Jeanne Moreau est également peu fiable pour représenter Verseau : son Ascendant Taureau est dirigé par Vénus en Sagittaire en trigone à Jupiter en Bélier, et Mars exalté culmine. Hardy donne aussi l’exemple de Jacques Prévert, et ça ne rate pas, il a un placement de Jupiter puissant : en domicile en Sagittaire avec Uranus et Rahu, et Vénus exaltée en Poissons qui dépend donc de Jupiter. C’est aussi une Lune en Bélier avec Pluton et Neptune culminant. Idem pour l’exemple de Michael Mann : Jupiter exalté en Cancer, Vénus exaltée en Poissons, Pluton en Lion et Mars exalté dirigeant l’Ascendant.
Hardy donne aussi l’exemple d’Abraham Lincoln pour illustrer un soi-disant altruisme à toute épreuve du Verseau, car c’est le signe de son Soleil et de son Ascendant… ignorant qu’il a Jupiter en domicile en Poissons qui déposite Saturne et Neptune au MC, ainsi que Mars en Balance et Vénus en Bélier. Peter Gabriel est également cité… qui a Jupiter conjoint au Soleil.
Juliette Gréco et Colette sont toutes deux Ascendant Balance avec Vénus exaltée en Poissons, et dans le cas de Gréco, en conjonction à Jupiter en domicile… Bref, ce sont exemples après exemples qui sont bancals à souhait pour illustrer Verseau. En fait, Hardy s’attarde sur des personnages qui sont souvent au moins autant jupitériens que saturniens, pour pouvoir prêter à Verseau des vertus typiquement jupitériennes. Quand elle parle de Sheryl Crown, qui a un stellium rare en Verseau, c’est pour ne consacrer qu’une ligne évasive.
Un des exemples les plus dérangeants qu’elle donne est celui de Mia Farrow, dont elle dit : « L’actrice américaine, dont le frère assure qu’elle a le chic pour donner un parfum d’aventure à tout, a actualisé à sa façon l’altruisme Verseau en adoptant un grand nombre d’enfants, dont certains étaient lourdement handicapés. » Les enjeux de pouvoir dans la parentalité abusive de Farrow sont complètement éludés, et le fait de prendre soin d’un enfant handicapé est vu comme de l’altruisme remarquable… Alors que l’un de ses fils adoptés en situation de handicap, Moses Farrow, a justement souligné le fait que son handicap faisait de lui une cible des abus de Farrow.
Conclusion
L’autrice a tendance à pick and choose ce qui lui convient dans les différentes traditions tout en faisant mine de ne s’intéresser qu’à l’astronomie et à ce qui est vérifiable statistiquement, ce qui est très agaçant. L’ouvrage n’apporte rien de très novateur et se compose principalement de verbiage condescendant au sujet de phénomènes astronomiques, assorti d’anecdotes sur la vie de différentes personnes choisies le plus souvent pour leur simple signe Solaire, ce qui biaise considérablement l’interprétation. Les commentaires et déductions sont parfois franchement déplacées, occasionnellement validistes. Je ne recommanderais pas particulièrement ce livre à qui que ce soit, si je n’avais pas eu l’intention d’écrire un article à son sujet, je ne l’aurais peut-être même pas terminé. Cependant, si vous voulez vous faire une idée de l’arrogance, de la prétention et de la médiocrité de certain·es astrologues contemporaines qui pensent avoir ré-inventé le fil à couper le beurre en crachant sur une « Tradition » qu’iels ne connaissent pas, c’est un bon exemple. Il faut comprendre en lisant ce livre que par « astrologie moderne » Hardy signifie : son approche de l’astrologie, influencée par Jean-Pierre Nicola. Chaque fois qu’elle utilise cette tournure de phrase, c’est comme si tous les autres astrologues modernes n’existaient pas. J’aurais préféré que ce ne soit pas le cas, mais j’ai l’impression que c’est le fait que Françoise Hardy soit célèbre pour d’autres faits qui l’a mise en position d’écrire et de publier un tel ouvrage astrologique malgré ses défauts évidents – ou peut-être que je n’ai pas l’habitude de perdre mon temps lorsque je lis des ouvrages astrologiques, aussi cela me frappe particulièrement ici.
Sources et références pour cet article :
- Les rythmes du zodiaque, Françoise Hardy, Éd. le cherche-midi, 2003
- Tetrabiblos, Claude Ptolémée
- Hellenistic Astrology: The Study of Fate and Fortune, Chris Brennan
- Ancient Astrology in Theory and Practice, Demetra George