J’ai vu à plusieurs reprises des astrologues s’inquiéter que l’astrologie soit considérée comme « un truc de femmes ». J’en ai vu beaucoup d’autres se demander pourquoi, sans forcément s’en inquiéter. Je trouve ça assez agaçant, et j’ai décidé d’en traiter dans cet article.
À quoi bon s’inquiéter de la présence des femmes en astrologie ?
Tout d’abord, on va appeler un chat un chat : si le fait que l’astrologie soit catégorisée comme « un truc de femmes » vous inquiète, il s’agirait de questionner votre misogynie. Pourquoi est-ce que ce serait négatif qu’un champ d’études soit associé aux femmes ? En quoi est-ce quelque chose de regrettable ?
Les hommes n’ont aucun mal à se faire une place dans le milieu astrologique, bien au contraire, il semblerait qu’ils dominent la profession comme un certain nombre d’autres vocations associées aux femmes et dévalorisées à cause de cela (par exemple, la mode ou la cuisine). Il est vrai que cette catégorisation éloigne certainement des machos fragiles. Mais je vous le demande, a-t-on vraiment envie d’attirer des machos fragiles dans la communauté astrologique ? Laissez-les se torturer tout seuls avec leur masculinité étriquée. Personnellement, je ne vais pas en perdre le sommeil.

Je n’ai donc aucun problème avec le préjugé selon lequel l’astrologie serait un truc de femmes, parce qu’il n’y a pas de honte à être une femme ou à être associé·e aux femmes. Je pense aussi qu’il est étrange de vouloir prouver que ce n’est pas le cas, ça sonne un peu comme « Non non vous inquiétez pas on est bien dans une société patriarcale, les femmes n’ont pas la main-mise sur l’astrologie, regardez, les plus grands astrologues sont des hommes, l’honneur est sauf ». Ce type de discours me semble, je le répète, foncièrement misogyne, et assez pathétique. Je n’ai que de la fierté et de l’admiration à compter parmi mes collègues de nombreuses femmes. Je ne vois pas pourquoi cela me dérangerait.
En ce qui concerne la déclaration « Les plus grand·es astrologues sont des hommes », je pense qu’il faut nuancer. Vu la culture patriarcale dans laquelle l’astrologie s’est développée, on ne peut guère s’étonner 1) que l’accès a l’astrologie ait été restreint dans une certaine mesure pour les femmes, dont l’éducation n’a pas été priorisée 2) que les astrologues femmes qui ont existé n’ont pas pu laisser leur marque comme leurs collègues masculins. Par exemple, on pense qu’il existait une femme qui pratiquait l’astrologie à l’ère hellénistique, Hypatie d’Alexandrie. Il y en a probablement eu d’autres, mais nous n’avons pas les éléments pour l’affirmer avec certitude.
Je suis toujours très exaspéré·e de voir des personnes utiliser le féminisme pour nier les réalités historiques du patriarcat. Ce que je veux dire par là, c’est que quand on dit que les femmes PEUVENT exercer des métiers qui sont catégorisés comme « masculins », on ne dit pas pour autant qu’elles ne vont pas rencontrer de difficultés ou de barrières. Ce que l’on dit, c’est que l’immense majorité de ces barrières ne relèvent pas de « différences biologiques innées », mais de constructions sociales patriarcales.
Un exemple de cela : les premières personnes à travailler avec des ordinateurs étaient des femmes. Sitôt que le potentiel de l’informatique a été discerné à sa juste valeur, on a évincé les femmes du tableau le plus vite possible. Et depuis lors, on nous sert une fable selon laquelle les hommes seraient naturellement plus compétents en informatique comme explication au fait que l’informatique soit un milieu très masculin. Les milieux très masculins le restent parce qu’il est difficile pour les femmes de les intégrer et de s’y sentir à l’aise À CAUSE de leur statut de minorité. Il suffit de considérer les témoignages de harcèlement sexuel au travail, cf Ligue du Lol par exemple.

Aujourd’hui, l’accès aux ressources concernant l’astrologie est grandement facilité. Il y a quelques milliers ou même centaines d’années, il fallait avoir des connaissances assez pointues en astronomie et en mathématiques pour calculer un thème natal, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. L’éducation des femmes n’a jamais été une priorité dans les cultures patriarcales, et elle est même très souvent activement découragée : le rôle d’une femme serait de se marier et d’avoir des enfants, point barre. On ne peut donc guère s’étonner qu’il n’y ait pas eu pléthore de femmes astrologues. Et quand bien même il y en aurait eu, il serait peu étonnant que leur travail ait été effacé. Il n’y a qu’à voir la manière dont les livres d’histoire aujourd’hui mettent de côté le rôle crucial des femmes en termes de découvertes ou d’inventions. Saviez-vous que ce sont des femmes Noires qui ont introduit le rock’n’roll (Sister Rosetta Tharpe), les films en 3D (Valerie Thomas) ou encore le traitement de la cataracte (Dr. Patricia Bath) ?
En ce qui concerne l’ère actuelle, il y a beaucoup d’astrologues qui sont des femmes et qui sont brillantes. Elles ne sont pas toujours entourées de la même aura de prestige que leurs comparses masculins, mais de nombreuses femmes astrologues ont toutefois une excellente réputation et une reconnaissance de leurs pairs. On peut citer Demetra George, Leisa Schaim, Kelly Surtees, Deborah Houlding, Lynn Bell, Melanie Reinhart, Jessica Lanyadoo, Judith Hill, Nina Gryphon… La nouvelle génération d’astrologues comporte aussi beaucoup de femmes talentueuses : Kirah Tabourn, Alyssia Osorio, Diana Rose Harper, Charm Torres, Alexis Duong, Adina Hertzel, entre autres. Côté francophone, je pense notamment à Alexandra Le Meur, Vanessa Massera, Annabelle Lhem.

Pourquoi davantage de femmes s’intéressent à l’astrologie ?
Venons-en au deuxième point : la question de savoir pourquoi il semble y avoir davantage de femmes qui s’intéressent à l’astrologie aujourd’hui. L’exploration de cette question par des hommes me fait lever les yeux au ciel, parce que leurs tentatives d’explication sont soit affreusement bio-essentialistes et misogynes, soit terriblement tièdes et timides s’il s’agit de parler de culture patriarcale.
Dans les arguments bio-essentialistes, on retrouve l’idée que les femmes seraient naturellement plus intuitives et imaginatives, et qu’elles auraient donc une plus grande affinité pour les questions astrologiques. Cet argument peut paraître bienveillant et valorisant pour les femmes, mais c’est en fait une pente glissante profondément misogyne. Tout ce qui repose sur l’idée d’une complémentarité entre hommes et femmes (intellect vs intuition, etc) est en fait non seulement sexiste mais hétéronormatif. Les femmes n’ont pas besoin d’être « complétées » par des hommes.
Tout comme la question de savoir pourquoi les femmes autistes sont sous-diagnostiquées, on nous sert des pseudo-explications qui n’ont rien de rigoureux ou de critique. Si les femmes « masquent » mieux leurs difficultés liées à l’autisme en moyenne, c’est parce qu’on enseigne aux femmes à se taire, à être sages, douces, bienveillantes, à ne pas faire de vagues, et parce que leurs douleurs et complaintes ne sont pas prises au sérieux. La maltraitance et négligence médicale misogyne est un réel problème. Prétendre que le « cerveau autiste » serait « hyper-masculin » est complètement aberrant, et pourtant, c’est une théorie neurosexiste qui a prévalu longtemps (pas merci Simon Baron-Cohen, tu es la honte de ta profession).
En ce qui concerne les compétences « naturelles » des femmes, je pense donc qu’il serait avisé de remettre en question la naturalisation du sexisme et du genre. Pour cela, voici quelques recommandations :

- L’origine du monde, bande dessinée de Liv Strömquist : brillant, acerbe, clair, bien sourcé, cet album est une mine de ressources sur l’histoire de la misogynie, notamment médicale.
- Delusions of Gender, livre de Cordelia Fine : l’autrice vulgarise les neurosciences, et s’applique à démonter les idées reçues sur les différences biologiques entre hommes et femmes. On doit à Cordelia Fine le terme « neurosexisme ». Elle met en avant le fait que les conclusions scientifiques qui prétendent démontrer que les cerveaux des hommes et des femmes sont profondément différents sont prématures, souvent basées sur des méthodes défaillantes, et des présomptions et biais. Elle remet aussi en question l’idée prévalente que des centres d’intérêts et situations sociales différentes sont dûes à des différences biologiques. « Avec des contextes et circonstances toujours si différentes pour les hommes et les femmes, il n’est tout simplement pas possible de comparer les choix qu’iels font et de tirer avec confiance des conclusions sur les différentes natures intérieures des sexes. »
Je regrette que certains astrologues n’osent pas prendre une position tranchée sur le conditionnement patriarcal et ses retombées. Naturaliser les inégalités est très dangereux, qu’il s’agisse de sexisme ou d’autre chose d’ailleurs : la suprématie blanche a aussi usé de pseudo-justifications médicales ou religieuses à de nombreuses reprises. Arrêtons les arguments d’autorité, cessons de perpétuer des clichés extrêmement nocifs. Les femmes ne sont pas naturellement plus douées pour l’astrologie, et les hommes non plus. Car ni les femmes ni les hommes ne sont un monolithe naturel ; il s’agit de groupes sociaux, construits avec un but politique d’asservissement des femmes. Si ces catégories nous poussent davantage dans un sens ou dans l’autre c’est parce que nous y sommes conditionné·es depuis la naissance.

J’encouragerais cependant les femmes à oser aller au-delà de ce à quoi on les cantonne, et pour cela il est indispensable de construire des rapports de sororité. J’encouragerais les hommes à réfléchir sur leur statut dominant dans notre société patriarcale. J’ajouterai qu’on a pas besoin d’alliés féministes, de pro-féministes, d’hommes féministes ou je ne sais quel nom donner encore à cette bêtise. On a besoin de traîtres au patriarcat.
Pour revenir à la question initiale, j’ai vu énormément de dénigrement misogyne de l’astrologie et des astrologues. Et j’ai aussi vu des hommes astrologues tenter de défendre l’astrologie en mettant en avant qu’être astrologue était un avantage pour pouvoir séduire les femmes, ce qui est on ne peut plus gênant… Je trouve navrant de réduire une technique aussi incroyable et vaste à « Je vais pouvoir pécho honhon ». Mais passons : en ce qui concerne le dénigrement misogyne, je pense en particulier à certains qui s’improvisent spécialistes de l’astronomie et de la sacro-sainte science dès qu’il faut rabaisser une femme qui s’intéresse à l’astrologie. Et, comme je le dis dans le prochain article qui porte sur les critiques courantes de l’astrologie, je ne vois pas le même type de scepticisme acharné à l’égard de la psychiatrie, de la psychanalyse, ou d’autres protocoles de sciences sociales difficiles à démontrer avec des statistiques pures et dures. Je ne vois pas non plus de méthode scientifique dans les critiques de l’astrologie la plupart du temps, seulement du mépris et des préjugés. Vu que l’astrologie est souvent présentée comme un domaine de femmes aujourd’hui, on peut se demander si la misogynie ne joue pas un rôle considérable dans cet acharnement.
D’autres recommandations de ressources au sujet du féminisme :

Livres et BD
- Le féminisme, collection La Petite Bédéthèque des Savoirs, Anne-Charlotte Husson
- De la marge au centre : théorie féministe, bell hooks, traduit par Noomi B. Grüsig
- The Will To Change: Men, Masculinity and Love, bell hooks
- Une culture du viol à la française, Valérie Rey-Robert
- Beauté Fatale, Mona Chollet
Vidéos
- L’afroféminisme expliqué en moins d’une minute, HuffPost
- Réponse à Antastesia, par Queer Chrétien·ne : une vidéo pour démonter les arguments transmisogynes au sujet du féminisme
- Le film « Ouvrir La Voix », Amandine Gay
- Les féminismes et leurs satanée bien-pensance, Ginger Force
- Le féminisme c’était utile avant…, Ginger Force
- Pourquoi ne pas se dire humanitariste ou égalitariste ?, Ginger Force
Liens divers
- Collectif handiféministe Les Dévalideuses
- Collectif afroféministe Mwasi
- Collectif féministe contre la psychophobie SOS Psychophobie
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