La tendance qu’ont certaines personnes à prétendre qu’une discipline est empouvoirante, queer ou féministe de manière inhérente est quelque chose qui m’agace profondément. J’ai beau être queer et féministe, et viser l’empouvoirement des personnes marginalisées au sein de notre société, je ne vais donc pas prétendre que l’astrologie sert forcément ce but.
Est-ce que j’utilise l’astrologie dans le but d’empouvoirer mes pairs, de promouvoir leur épanouissement et leur émancipation ? Bien entendu. Mais l’astrologie est un outil, pas une idéologie politique. Certaines personnes pratiquent peut-être une forme d’astrologie très similaire à la mienne tout en ayant des convictions politiques contraires aux miennes. Car l’astrologie ne promeut pas en soi le conservatisme ou le progressisme. C’est un ensemble de traditions et de techniques, qui peut être utilisé d’une manière bienveillante ou malveillante.
Un outil versatile qui peut être corrompu
Il est tout à fait possible que certaines personnes pratiquant l’astrologie l’utilisent afin de faire du profit sur la fragilité de personnes traumatisées en quête de repères. Il existe très certainement des pratiques sectaires et dangereuses, comme dans beaucoup d’autres traditions. Je ne vois aucune raison pour que l’astrologie soit imperméable au charlatanisme ; au contraire, la profession étant très peu régulée, je pense que cela peut être un terreau fertile, au même titre que les médecines alternatives par exemple. Gare donc aux ventes pyramidales et autres arnaques.
Fuir la performance
Il me semble important, plutôt que de vouloir définir la discipline que l’on pratique comme étant en soi queer ou féministe (ou anti-validiste, décoloniale, … etc), de rendre ses actes et ses paroles véritablement pro-queers et féministes, etc. Il ne s’agit pas de faire quelque chose de performatif pour tirer profit d’une image progressiste, mais de réellement œuvrer pour un changement social.
Des critiques justifiées
J‘ai vu des critiques sévères de l’astrologie de la part de personnes queers et/ou féministes. Je les comprends aisément. Dans la communauté LGBTI+, difficile d’échapper aux memes sur l’astrologie et aux discussions sur le sujet au sens large. Pourtant, la connaissance approfondie de l’astrologie n’est pas forcément au rendez-vous. Et ce n’est pas un problème : on peut s’amuser de quelques memes sans prendre l’astrologie au sérieux, parce qu’on s’y reconnaît et que c’est rigolo. Là où cela devient très dérangeant, c’est lorsque l’essentialisme pointe son nez.
« Ah, c’est normal que tu sois comme ça, c’est parce que tu es tel signe ! »
Réduire les gens à leurs signes solaires pour mieux les catégoriser ne m’intéresse pas. Tout l’intérêt d’un thème natal réside dans sa complexité et sa densité d’informations. On peut jouer avec les clichés, mais il me semble important de garder en tête qu’une personne est bien davantage qu’un ou deux archétypes, et que cela peut être franchement insultant de prétendre le contraire.
Un des problèmes que pose à mon sens cette omniprésence de l’astrologie est aussi le potentiel réactivant que cela peut présenter d’un point de vue psychotraumatologique. Certaines personnes peuvent avoir des traumatismes liés à la religion, l’ésotérisme, le fait d’être défini·e par autrui, ou encore certaines clichés associés à leurs placements (l’hypersexualisation des Scorpions par exemple !). Aborder le sujet de l’astrologie à tort et à travers pose donc quelques problèmes d’éthique — j’aborderai ce sujet plus en profondeur dans un prochain article.
Pouvoir, déterminisme et libre-arbitre
Est-il possible de s’empouvoirer via l’astrologie ? Je pense que oui, ne serait-ce que parce que c’est ce que j’expérimente à titre personnel. Cependant, la définition de l’empouvoirement, et la manière de mettre cela en oeuvre, peut prendre des formes très différentes d’une personne à une autre.
Il y a quelque temps, j’écoutais un épisode de The Astrology Podcast dans lequel Chris Brennan discutait des retours de Saturne avec un invité. Ce transit est généralement vu comme un passage difficile, lié à ce que la culture populaire appelle la « crise de la trentaine ». Chris partageait sa réticence face à certains discours qui se veulent empouvoirants et qui promeuvent une vision des transits optimiste en tout temps : un discours de type « Vous êtes maître de votre destinée, rien n’est écrit ». Les personnes qui ont cette vision rejettent généralement la notion de fatalité et de pré-détermination, et encouragent à penser que l’on peut tout changer par la force de sa volonté.
Or ce discours peut mener à tout autant de désolation qu’une vision fataliste, car que penser lors d’une crise si l’on est responsable de tout ce qu’il nous arrive ? Certaines notions de fatalité sont-elles forcément plus désarmantes que le poids de la responsabilité de tout ce qui peut survenir ? Les personnes qui vivent des burnouts, des dépressions, des deuils, sont-elles à blâmer pour ces évènements de vie ? Je pense que non. Certaines choses sont tout simplement hors de notre contrôle, c’est indéniable ; et cela ne signifie pas toutefois que nous n’ayons aucune marge de manœuvre.
Prédiction et éthique
Cependant, il est certain que les techniques prédictives posent un certain nombre de problèmes éthiques, auxquels les astrologues ne peuvent éviter de se confronter. Il s’agit de distinguer ce qu’il est approprié de dire ou non à une personne qui consulte, ce qui est susceptible de l’aider ou non. C’est parfois assez subjectif, et parfois très évident. Mais ce qui est certain, c’est que nul·le astrologue ne peut prendre à la légère ces questions. Il me semble qu’il est particulièrement important de s’assurer que les personnes qui ont accès à des informations prédictives fassent un choix informé.
Pour conclure, mon avis est que prétendre que l’astrologie est forcément empouvoirante est malhonnête ; la manière dont on l’utilise est cruciale pour jauger de son impact.
À bientôt pour de nouvelles réflexions sur l’éthique et l’astrologie !
Edit 2/04/2021 : Je vous recommande vivement la lecture de cet article de Cathou, qui propose un contrepoint avec une queerisation du Tarot et la proclamation du tarot comme queer au nom de la revendication et de la réappropriation. Je trouve cette approche très intéressante et assez complémentaire de mon approche dans cet article. Si vous avez aussi écrit au sujet de votre réappropriation d’outils divinatoires en tant que personne queer, n’hésitez pas à partager en commentaire, j’aurai envie de lire ça !
Merci pour tes critiques!
Quand on explique qu’une discipline est en soi féministe/queer/empouvoirante, c’est un manifeste. Pour ma part, j’ai écrit sur le tarot comme foncièrement féministe/queer/empouvoirant dans cette optique de manifeste donc je me dois de réagir sur ce point. Certes, ça a des limites, si c’est considéré seul, si c’est ancré dans rien, je réécrirai pas forcément les choses comme ça aujourd’hui. N’empêche… C’est complètement une pratique de réappropriation d’une discipline/d’un outil, le revendiquer, ne pas laisser le laisser aux mains des pape-sse-s qui détiendraient dans leur approche essentialiste, misogyne, hétérosexiste, la seule vérité d’une discipline. C’est du « reclaim » écoféministe et queer. Bien sûr, c’est un acte performatif, mais contrairement à ta phrase « Il ne s’agit pas de faire quelque chose de performatif pour tirer profit d’une image progressiste, mais de réellement œuvrer pour un changement social », pour moi c’est pas l’un ou l’autre. Le mot queer lui-même vient d’une volonté de réinvestir. D’où plein de changement, d’actes ont découlé et découlent encore.
L’astrologie hellénistique et queer et féministe et empouvoirante de Chani Nicholas me renvoie super fort cette énergie, ce parti-pris, d’occuper le terrain avec son approche.
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Merci pour ton commentaire ! Je suis assez d’accord avec toi sur le fond il me semble. Je pense que la réappropriation est un truc clé, c’est clair. Ce que j’essayais de dire ici c’était pas que c’était pas possible, mais plutôt qu’il fallait se questionner sur pourquoi on appelle une pratique queer, parce que le fait d’être queer et de l’utiliser ne va pas automatiquement faire le taf. Cela dit, mon article manque sûrement un peu de nuance, et j’aime beaucoup aussi Chani Nicholas d’ailleurs. Il est possible que certain·es l’accusent de « vendre » le queer de manière dérangeante mais c’est pas mon cas, je trouve qu’elle fait un taf utile qui a l’air très sincère, et à ce stade je trouve que la critique à son égard relèverait du radicalisme performatif justement hehehe. Pour pouvoir partager du contenu qui parle à nos pairs, ça me paraît essentiel d’utiliser les mots qui nous rassemblent. À ce titre je vais pas cacher être féministe, queer, handi etc. Mais je pense que j’aurais du mal à appeler l’astrologie que je pratique féministe, queer ou handi. Ma pratique l’est, mais le système astrologique en lui-même, je ne crois pas ? Enfin bon, sûrement je chipote un peu 😀
Je cherchais ton article que tu as cité en story insta pour l’ajouter à la fin de cet article mais je le retrouve pas ?
En tous cas encore une fois je suis SI HEUREUXSE de découvrir ton taf et j’ai trop hâte de dévorer tous les articles de ton blog, je vais apprendre des tonnes de trucs vu que je débute en tarot, je suis aux anges. Merci d’être passée par là ! ❤
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Nan mais c’est la fatigue, le queer comme buzzword: on est d’accord évidemment 🙂
On pourrait discuter très longtemps de ce qui fonctionne plus ou moins bien dans l’approche de Chani et je suis sûre qu’on le fera un jour ailleurs qu’en commentaire 😉
Je pense que l’histoire de l’astrologie est encore plus chargée de rapports de pouvoir que celle du tarot. Il y a encore plus de travail à fournir pour se la réapproprier. Je comprends la rigueur dans la démarche de ne pas l’étiqueter « féministe ».
MERCI à toi!
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‘Je pense que l’histoire de l’astrologie est encore plus chargée de rapports de pouvoir que celle du tarot. Il y a encore plus de travail à fournir pour se la réapproprier. Je comprends la rigueur dans la démarche de ne pas l’étiqueter « féministe ».’ AH ÇA. Je suis complètement d’accord. D’ailleurs c’est intéressant parce qu’au niveau des noms antiques des maisons, la maison 3 est « Déesse » et la maison 9 est « Dieu » (bon déjà c’est très genré, mais j’en ai pas une approche qui est « les femmes par ici les hommes là-bas » évidemment, et au titre de donnée historique je trouve ça très intéressant à savoir) ; et la maison 3 est associée aux routines, aux courts voyages, aux adelphes, à l’éducation avant l’éducation « supérieure », aux déesses et aux prêtresses évidemment, aux reines et princesses, et du coup à la magie, au spirituel et au sacré (au même titre que la maison 9). La maison 9 est très très souvent associée à l’astrologie, c’est aussi la maison où on place l’éducation supérieure, la philosophie, les voyages lointains / longs et tout ce qui est magie cérémonielles, institutions religieuses, pouvoir religieux, dieux, prêtres, etc. Et je vois très souvent des astrologues avec le Soleil en 9 par exemple, et clairement l’astrologie est un sujet de cet axe-là. Et j’ai l’impression que la cartomancie et d’autres formes de magie et de pratiques divinatoires qui ont encore plus une réputation de « truc de femmes » que l’astrologie auraient peut-être encore plus leur place en maison 3. C’est un truc à creuser, mais c’est comme ça que je l’interprète à l’heure actuelle, notamment parce que j’aime beaucoup beaucoup la maison 3 et je la trouve grave sous-côtée. Le rapport au sacré dans le quotidien, la magie des détails et de ce qui peut paraître trivial, je trouve ça hyper important et touchant.
Bref, après cette tangente interminable, pour conclure : il y a effectivement beaucoup de choses à actualiser dans les traditions astrologiques, et ça me fait si plaisir de voir des astrologues super chouettes faire un taf là-dessus. Je pense notamment à Alyssia Osorio qui a des réflexions sur la maison 6 qui m’épatent grave !
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J’ai adoré l’épisode récent de The Strology Show sur l’axe maison 3/maison 9. Il y a une façon d’aborder cette tension entre sorcellerie en 3 et magie en 9 qui m’a beaucoup parlée et qui rejoint la tienne. Je recommande 😉
J’adore cet axe parce que j’ai les 2 maléfiques conjoints en maison 3 (dont mars chez lui) et pile en face ma lune exaltée et Mercure (mon pilote). C’est certainement pas un placement facile, mais j’adore la complexité de tout ce qui s’y joue.
Ce qui est compliqué avec cette tension entre la maison de la déesse où la lune a sa joie et celle du dieu où le soleil a sa joie, c’est que même si on peut en parler d’une façon non-genrée, y a toute l’histoire d’un rapport de pouvoir entre la magie cérémonielle, l’alchimie, l’hermétisme réservés aux hommes et les « remèdes de bonnes femmes », le soin au quotidien attribués femmes. ça rend la chose tellement compliquée parce que c’est pas en faisant comme si l’histoire de l’oppression patriarcale n’existait pas qu’elle disparaît. Mais en même temps, on a tellement besoin de proposer d’autres choses.
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Ah j’ai trop hâte de l’écouter ! J’aime beaucoup The Strology Show ! Merci de la rec 🙂
Ah oui effectivement, ça fait beaucoup d’action en maisons 3 et 9 ! Chez moi aussi c’est un axe un peu clé, mais l’action avec les maléfiques c’est plutôt sur l’axe 4-10 chez moi haha.
Oui, tout à fait d’accord avec toi. Je vais pas enlever toute donnée genrée ou faire comme si ces racines genrées n’existaient pas parce que je trouverais ça contre-productif, je pense qu’on peut en parler sans tomber dans un fatalisme essentialiste. Ne pas en parler fait pas disparaître le truc, mais on peut ne pas traiter ça avec complaisance quoi. Et je pense que c’est pas forcément à l’exclusion de proposer autre chose non plus !
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Pas de souci pour l’article! Mon blog est dans un fabuleux désordre 😀 https://cathoutarot.blog/2019/02/23/grossir-le-tarot-quand-la-pratique-du-tarot-est-queer/
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Merci beaucoup ! C’est ajouté
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[…] Astrologie et empouvoirement […]
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