L’amalgame signes et maisons

Je suis loin d’être puriste vis-à-vis des traditions antiques ou médiévales, mais s’il y a bien un élément de l’astrologie moderne qui m’attriste, c’est l’amalgame entre signes du zodiaque et maisons astrologiques. Cet article explique en quoi consiste cet amalgame, et pourquoi je n’y souscris pas.

Cet amalgame « signes = maisons », extrêmement répandu voire omniprésent dans les enseignements astrologiques actuels, considère que la maison 1 est associée à Bélier, la maison 2 est associée à Taureau, la maison 3 est associée à Gémeaux, et ainsi de suite pour le reste des maisons et du zodiaque.

C’est une notion relativement récente à l’échelle de l’histoire de l’astrologie. Le système basique tel qu’on en a hérité, basé sur planètes, signes, maisons et aspects, date de plus de 2000 ans. En revanche, l’amalgame « signes = maisons » est difficile à retrouver dans les traditions plus anciennes, il semble avoir émergé dans l’astrologie que l’on pourrait qualifier d’occidentale à l’époque d’Alan Leo. Le principe semble se retrouver avant cela en astrologie Védique, mais sous une forme différente et dans le cadre de certaines techniques ; généralement, essayer d’importer de manière extrêmement tronquée des techniques Védiques pour les appliquer dans un contexte culturel différent peut poser un certain nombre de problèmes.

À titre personnel, je ne souscris pas à cet amalgame, que je trouve bancal et qui me semble appauvrir les connaissances que l’on a des maisons, et je suis d’avis qu’il est avisé de distinguer plus clairement les significations des maisons et celles des signes.

Le phénomène a pris une telle ampleur que la plupart des gens ne savent pas si ce qu’iels connaissent d’un signe prend sa racine dans les significations historiques dudit signe, ou si cela vient d’un amalgame avec la maison correspondante selon la notion « signes = maisons ».

Ce que je trouve dommage avec cet amalgame n’est pas qu’il soit entièrement faux, il peut y avoir des points communs entre les significations de la maison 2 (ressources personnelles, possessions, finances) et le signe du Taureau par exemple (un signe de terre vénusien avec une emphase sur la valeur matérielle). Le problème est qu’amalgamer les deux génère un flou sur l’un et l’autre. Or les deux découpages sont distincts. Je trouve que pour apprendre l’astrologie, il est préférable d’apprendre d’une part les maisons et d’autre part les signes, sans essayer de faire des équivalences rapides entre les deux.

L’amalgame est souvent présenté comme une progression, dans laquelle le signe du Bélier représente le « début » d’une sorte de chemin initiatique, qui culmine en Poissons, le dernier signe. De là viennent certaines idées sur la maison 12 comme un lieu d’élévation spirituelle, et sur Poissons comme un signe sage, mystique, voire « vieux ». Cela ne me semble pas forcément totalement faux, mais je trouve l’idée selon laquelle les signes « progressent » jusqu’à une culmination, dans un processus mélioratif, assez étrange. Je trouve que l’un des intérêts notables de l’astrologie est justement que cela remet en question une vision du temps strictement linéaire et l’idée de « progrès éternel ». Parfois les choses ne vont pas mieux avec le temps (coucou la révocation de Roe v. Wade et le christofascisme actuel, pour ne donner qu’un exemple parmi tant d’autres).

Parmi les conséquences que je considère comme les plus désastreuses de cet amalgame est la priorisation des notions qui en sont tirées au détriment d’autres informations importantes du thème. Par exemple, il est arrivé que l’on me demande quoi penser d’une maison 5 qui ne semblait pas résonner avec les significations du Lion (signe associé à cette maison dans l’amalgame signes = maisons), dans une nativité dont l’Ascendant n’était bien sûr pas Bélier. J’ai donc expliqué qu’il était plus pertinent de regarder la planète dirigeant la maison 5 dans la nativité spécifiquement, et les significations de la maison 5 généralement. Il arrive même que des personnes considèrent la planète associé au signe dans l’amalgame comme ayant autorité sur la maison concernée, sans même considérer les spécificités du thème ! À ce stade, à mon humble avis, on marche sur la tête. Mars n’a aucune autorité spécifique sur la maison 1 dans un thème natal, à moins qu’il s’agisse d’un Ascendant Bélier, Scorpion, ou que Mars se trouve en maison 1. Idem pour le Soleil et la maison 5, et toute autre association née de l’amalgame signes = maisons. L’amalgame entre signes et maisons ne peut pas se substituer à la détermination des maîtrises sans mettre à mal toute la cohérence du système astrologique. Il me semble crucial pour des débutant·es en astrologie d’avoir cela en tête.

Même si l’on ne prend pas cet amalgame comme substitution des maîtrises, dans certains cas, le flou généré par l’amalgame donne lieu à des contresens sur les significations des maisons. Par exemple, je ne pense pas que faire un lien entre Capricorne et la maison 10 soit pertinent. Capricorne est un signe de terre saturnien. Saturne se plaît dans les endroits sombres et désolés, jubile est en maison 12. S’il fallait décrire Capricorne comme un lieu, je penserais probablement à une cave ou un entrepôt. La maison 10 est l’endroit le plus visible du ciel, un angle puissant du fait de sa visibilité. Est-ce que l’on associe les placements en Capricorne à un côté carriériste parce que c’est une qualité inhérente au signe, ou est-ce parce qu’on fait l’amalgame avec la maison 10 ? Je pense intéressant de se poser la question. Le fait que Capricorne soit un signe de terre cardinal où Mars trouve son exaltation me semble aller dans le sens d’un côté bosseur et/ou de devoir endosser beaucoup de responsabilités, notamment d’initiatives matérielles. Cependant, cela n’est pas synonyme de visibilité ou de vocation pour autant, et je trouve dommage de perdre ces nuances avec l’amalgame Capricorne = M10.

De la même manière, mettre sur le même plan la maison 11, joie de Jupiter et lieu des alliances, espérances et aspirations et Verseau, un autre signe saturnien me semble étrange. Saturne est la planète de la solitude ! Dans un signe d’air (Verseau ou Balance, son exaltation), elle peut se parer de facettes plus sociables, mais cela reste une planète dont les significations de base ne sont pas favorables aux groupes et à la cohésion dans le cadre de réjouissances et de célébrations.

La pandémie de COVID-19, marquée par des confinements internationaux qui ont restreint profondément la vie sociale, est en lien avec le passage de Saturne en Capricorne avec Pluton puis la conjonction Mars-Saturne en Verseau : c’est une illustration particulièrement éloquente de la distance que peut représenter Saturne en domicile. La vibe de Saturne en Verseau n’est pas particulièrement amicale, chaleureuse, pleine de bonhomie et propice au réseautage : ces qualités-là sont celles de Jupiter, qui se réjouit en maison 11. Saturne en Verseau représente les structures sociales, et celles-ci sont parfois (voire souvent !) rigides et mortifères. J’ai énormément d’appréciation pour ce que j’appellerais les vertus saturniennes (la rigueur, l’endurance, la patience, la discipline) mais je pense important de ne pas faire passer à la trappe tout ce que Saturne en Verseau peut représenter d’enfermement idéologique, de dureté administrative, d’aliénation sociale. Ce que l’on associe au signe du Verseau me semble d’ailleurs souvent s’appliquer davantage au Soleil en Verseau (qui s’y trouve en exil) qu’à Saturne en Verseau, du fait de la focalisation moderne sur le signe Solaire.

Au passage, on peut remarquer que Saturne est exaltée en Balance, un signe vénusien notamment parce que savoir poser ses limites (Saturne) est essentiel pour entretenir des relations (Vénus) équilibrées (Balance). Si l’on se penche sur le côté sombre de cette exaltation, on peut aussi constater que la propagande fasciste efficace est une propagande qui séduit, et qui utilise la peur de l’insécurité sans en avoir l’air, avec des promesses d’harmonie idyllique et de retour à des sources fantasmées, particulièrement dans le cadre de l’éco-fascisme (« C’était mieux avant… »). Les normes de beauté traditionnelles et plus généralement des conventions sociales (Vénus) sont utilisées pour marginaliser, exclure et exiler (Saturne). C’est un autre sujet, mais j’ai l’impression que la compréhension de Verseau comme signe saturnien est mise en difficulté par l’attribution moderne d’Uranus à ce signe.

La maison 12, joie de Saturne, est habitée par des ambivalences. Les significations difficiles prédominent, même si l’on peut trouver certaines expressions constructives à des placements en maison 12 ; un amour de l’introspection, bien supporter la solitude, un versant méditatif, une vie de repli stratégique ou une vocation moniale, un lieu de travail isolé comme les hôpitaux ou les prisons, etc. La maison 12 est traditionnellement considérée comme un lieu dur, à l’image de Saturne. En astrologie moderne contemporaine qui utilise l’amalgame signes = maisons, comme Poissons est accolé à la maison 12, il y a des idées assez étranges sur ce signe, et sur la maison 12. Poissons se voit considéré comme mystique triste perdu dans le pré, et la maison 12 est revampée en lieu d’épiphanie spirituelle éprouvante. Mais toute expérience de deuil et de souffrance isolante ne mène pas forcément à une croissance spirituelle de facto, et il est important ici de ne pas se livrer à l’évitement spirituel et la minimisation des expériences d’autrui. Amalgamer un domicile de Jupiter, planète de l’abondance, de l’optimisme, de la spiritualité, de l’érudition et de la prêtrise, que l’on surnomme « Grande Bénéfique » et qui a généralement pour rôle d’affirmer, d’encourager, de stabiliser et de bonifier, avec la maison 12 qui est indubitablement une des maisons les plus difficiles des douze, est presque dangereux de ce point de vue là.

Je tiens à clarifier que je ne cherche pas à signifier avec cet article que tout·e astrologue qui utilise l’amalgame signes = maisons est incapable de faire son travail, ou que toutes ses interprétations seraient à jeter aux orties, loin de là. Cet article ne vise personne en particulier, et mon but n’est pas de vilifier le travail de collègues qui font leur travail consciencieusement avec des méthodes différentes des miennes. J’aimerais cependant porter à l’attention des personnes qui s’intéressent à l’astrologie, en amateur·es ou professionnellement, que l’on peut remettre en question certaines notions courantes de l’astrologie contemporaine, et que les délinéations que l’on fait peuvent alors en être nuancées. Je vous encourage vivement à ne pas prendre pour argent comptant ce que je dis là, mais étudier différentes sources et tester pour vous-mêmes !

Cet article a été publié en avant-première il y a 6 mois pour les abonné·es de ma page Patreon.

Sources et références sélectives
  • Hellenistic Astrology: The Study of Fate and Fortune, Chris Brennan
  • Ancient Astrology in Theory and Practice, Demetra George
  • Anthology, Vettius Valens (trad. Riley)
  • Carmen Astrologicum, Dorotheus of Sidon (trad. Dykes)
  • On The Heavenly Spheres, Helena Avelar & Luis Ribeiro
  • A Tiny Universe, Joy Usher
  • You Were Born For This, Chani Nicholas
  • Temples in the Sky, Deborah Houlding
  • The Book of Rulerships, Lee Lehman

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